vendredi 1 juin 2007

L'enfance de Mencius

En Chine, la mère de Mengzi, le grand philosophe chinois (Mencius de son nom latin) est un modèle. Par son éducation exceptionnelle, son fils a pu devenir un grand philosophe. Et actuellement encore, les jeunes parents chinois ont tous en mémoire l'histoire de Mengzi et de sa mère. Un modèle que tout le monde essaye d'imiter.
Voici, cette histoire.

Mengzi est né en Chine, au IV° siècle avant J-C, à l’époque des royaumes combattants. Son père, Mengji, un lettré plutôt malchanceux, fonctionnaire auprès du roi du royaume de Song, vécut dans la prospérité. Jusqu’au jour où, hélas, trois ans plus tard, il décéda. Il laissa sa femme, mademoiselle Qiu et son fils unique, le petit Mengzi à leur propre destin.

Mademoiselle Qiu, femme du mandarin Mengji, mère du petit Mengzi vivait dans la principauté de Tsou, (le Shandong actuel), au pied de la montagne Maan, dans un petit village nommé Fan.
Dans ce village, la vie y était paisible. La mère de Mengzi, seule, y élevait son fils. Ce dernier aimait jouer avec ses voisins, les autres enfants du village et tous ensemble s’amusaient souvent à imiter les adultes de leur entourage. A proximité de ce village, était justement un cimetière. Ce cimetière, un des plus grands de la principauté de Tsou, avait régulièrement de nouveaux locataires en ces temps difficiles et les jeunes enfants du village aimaient à regarder les fossoyeurs à l’ouvrage et les défilés endeuillés. Mengzi, quant à lui, était aux premières loges pour voir ce cortège funéraire, puisque les défilés passaient régulièrement devant sa porte.
Ce défilé de personnes vêtues de chanvre, en pleurs, se lamentant à n’en plus finir, était un spectacle très divertissant pour le petit Mengzi et ses amis. Les enfants du village se plaisaient à les imiter et avaient pour habitude de jouer aux enterrements. Les uns se taillaient des vêtements de chanvre, d’autres creusaient pour la mise en bière, d’autres encore brûlaient du papier monnaie, ou simulaient le transport du cercueil. Un jour, alors que tous les enfants du village étaient en train de jouer près du cimetière, la mère de Mengzi entendu son fils pleurer et crier. D’abord indistinctes, les paroles de Mengzi devinrent plus claires.
« Mon amour, pourquoi tu m’as laissé ? Te voilà parti maintenant, il ne reste que moi en ce bas monde ! Que vais-je faire ? Que vais-je devenir ? »
Mademoiselle Qiu se rapprocha de la voix qu’elle supposait être celle de son fils, quand elle l’aperçut, agenouillé à terre, les bras tantôt en l’air, tantôt frappant la terre avec vigueur, criant, voir même braillant pour être sûr de transmettre toute la tristesse d’un enterrement à ses amis. Il jouait à l’enterrement. Il fallait être triste et pleurer. Ce que Mengzi fit très bien, si bien que sa mère, paniquée de voir à quel genre de jeu son fils s’amusait, décida de déménager sur le champ.
Elle prépara ses bagages et empoigna son fils. Ils partirent.

Leur pas les menèrent jusqu’au village de Miaohuying. Cette fois-ci, mademoiselle Qiu, pour le bien de son fils, s’installa au centre du village. Dans une rue commerçante, très animée, où là, au moins, son fils ne jouerait pas à des jeux aussi macabres que la reconstitution d’un enterrement.
La rue animée éveilla Mengzi. Ses amis ne se lamentaient plus, ne pleuraient pas et lui ne s’agenouillait plus en criant. Mengzi, comme tous les enfants, observait son entourage. Un boucher à gauche, un marchand de légumes à droite et divers autres commerces dans la rue. Tous les jours, le jeune garçon traînait avec ses camarades et apprenait.
Et c’est ainsi qu'il observa le boucher couper du porc, les commerçants marchander et les vendeuses attirer le client à la criée. Il prit ainsi exemple sur ses voisins.
Sa mère fut alors très étonné de voir un jour son fils, jouer au marchand de viande. Imitant l’abattage du porc, puis la découpe de celui-ci et enfin ventant avec joie tous les mérites de son porc, très frais "et oui mesdames et messieurs", très frais!
Mademoiselle Qiu ne put en supporter davantage et se dit qu’il valait mieux déménager et trouver enfin un environnement plus propice à l’épanouissement et à l’éducation de son fils. Lui qui imitait si bien son entourage, il fallait lui donner un voisinage constructif. Et pas plus qu’elle ne voulait laisser son fils proche d’un cimetière, elle choisit aussi d’éloigner son fils du milieu commerçant et des petits marchandages incessants auxquels ils se livraient.

La mère de Mengzi choisit de s’installer près de l’école de la principauté de Tsou. Ici au moins, entouré d’étudiants et de sages lettrés, le jeune Mengzi serait influencé correctement pensa-t-elle. Dans tout le village, on pouvait entendre les récitations des élèves. Les lettrés de l’école et leur sagesse impressionnaient les enfants du village. Ainsi, Mengzi, avec les enfants du village, joua à étudier. Assis sous un arbre, il se courbait au-dessus d’un rouleau reconstitué à partir de brindilles et récitait ce qu’il avait appris en écoutant les élèves faire leur récitation. Avec ses camarades, ils jouaient aux discussions entre lettrés, se courbant tous aimablement les uns devant les autres, se faisant des politesses avant de s’asseoir et de s’attabler devant une tasse de thé invisible. Observant les jeux de son fils, la maman de Mengzi fut ravie. Après un long parcours, elle avait enfin trouvé un environnement favorable à son fils. Elle choisit de rester dans ce village et se mit à tisser pour gagner sa vie et permettre à Mengzi, son fils unique et orphelin de père, d’avoir la meilleure des éducations.

Hélas, Mengzi n’était qu’un enfant. Et ce qui était un environnement des plus favorables pour sa mère, n’était aux yeux de Mengzi qu’un village comme les autres où les enfants ensemble se réunissaient pour jouer. Aussi, alors que Mengzi avait déjà commencé à étudier, il fut surpris un jour par sa mère en train de s'amuser avec ses amis au pied d’un arbre plutôt que d’être sagement à l’école.
Cependant, plutôt que de le gronder immédiatement, la mère de Mengzi rentra chez elle. Toujours à son ouvrage à tisser, elle attendit la rentrée de son fils. Lorsque celui-ci rentra et s'installa à côté d’elle pour l'aider à tisser, elle prit une paire ciseaux et coupa en deux tout le morceau de tissu qu’elle avait laborieusement tissé. Toute une semaine de labeur anéantie. Face à cet étrange spectacle, Mengzi ne put que réagir.
« Mais maman, pourquoi détruisez-vous de vous-même ce magnifique tissu, tissé de vos mains? C’est de la folie ? Il vous a fallu une semaine de travaille sans relâche pour le finir. »
Et mademoiselle Qiu, répliqua alors : « Mon fils, tu es allé jouer avec tes amis cet après-midi plutôt que d’aller à l’école. Et bien, ton action est toute aussi inconsidérée que la mienne à l’instant. Ce tissu par mon tissage lent, progressif, mais laborieux et sûr, a pu devenir un tissu soyeux et solide, de bonne qualité. Il était destiné à servir de tunique confortable. Mais par mon acte irréfléchi, ce tissu est détruit, la belle tunique ne sera pas et il faudra reprendre à zéro tout mon labeur pour arriver encore une fois au même résultat.
Tout comme toi, mon fils. Les études et le savoir s’acquièrent avec un lourd labeur, beaucoup de patience, d’énergie et de concentration. Si tu choisis de t’amuser plutôt que d’étudier, alors de tout ton travail de concentration antérieur, de toute ta patience et de ta sagesse accumulées il ne te restera plus rien ! Il te faudra tout reprendre à zéro ! »

Et voilà comment la mère de Mengzi, sans punition, sans correction violente, ou colère abusive inculqua à son fils, Mengzi, toute la valeur des études. Mengzi devint ainsi très jeune, à l’âge de 15 ans, un des disciples du petit-fils de Confucius, avant de devenir lui-même un des grands maîtres de la philosophie chinoise.

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