mardi 24 octobre 2006

La mariée et le dieu du fleuve

Voici une méthode très habile pour mettre fin aux superstitions.

A l’époque des royaumes combattants, il y a plus de 2000 ans, sous le royaume de Wei, un magistrat, Ximenpao fut nommé gouverneur de la province de Yeh. Ayant juste pris ses fonctions, le jeune magistrat fit appeler les aînés de cette province et leur demanda quelles étaient les principales difficultés que les habitants rencontraient ici, si la population était malheureuse.
Alors les anciens répondirent : « Ah il y a bien un problème qui cause grand malheur sur nos terres au fil des ans, c’est le mariage du dieu de la rivière. Notre peuple s’appauvrit tous les jours un peu plus pour offrir une grande cérémonie de mariage au dieu de la rivière. »

Alors Ximenpao, perplexe et intrigué par cette histoire étrange réclama plus d'informations.
« Alors voilà » commencèrent les aînés, « le problème est que les tyranneaux locaux, ainsi que les quelques fonctionnaires de la province collectent chaque année pour cette cérémonie plus de 1 000 000 de yuans. Ils dépensent environ 2 à 300 000 yuans pour le mariage du dieu de la rivière et se partagent le reste, en collaboration aussi avec les sorcières.
Mais ce n’est pas tout ! Tous les ans à la même période, juste avant le mariage de Hebo, c’est ainsi que ce nomme notre dieu de la rivière, les sorcières de la province rendent visite à tous les habitants afin de trouver la plus jolie jeune fille de la province. Une fois celle –ci repérée, elle est choisie par les sorcières pour devenir l’épouse de Hebo, notre dieu. Les sorcières l'emmènent en échange d'une maigre compensation en argent donnée aux familles. Aussi selon la tradition, la jeune demoiselle, la future épouse du dieu de la rivière, revêt tous les apparats d’une jeune mariée. Elle est vêtue et voilée de rouge. Un palanquin est aussi préparé pour la cérémonie. La jeune mariée installée dans ce palanquin est alors prête. La cérémonie peut commencer. Et ce jour là, les habitants accourent en masse au bord de la rivière pour voir la jeune mariée. Les porteurs du palanquin s’enfoncent progressivement dans l’eau sous le regard du peuple, muet. Et la jeune mariée rejoint son époux, le dieu Hebo, dans les profondeurs de la rivière.
Les habitants redoutent ainsi chaque année que leur fille soit choisie par les sorcières pour devenir la future épouse et fuient le village. Mais les plus pauvres, n’ayant pas les moyens de fuir, demeurent. Et chaque année, les impôts collectés pour cette cérémonie appauvrissent la population, les habitants et la province tout entière ne cessent de se dépouiller.
Bien sûr, nous avons déjà tous pensés à abandonner cette tradition. Mais les sorcières nous ont avertis que la colère de Hebo serait très grande et terrible. Elle serait telle que les maisons et les terres seraient enfouies sous les eaux et le village anéanti. Ainsi, les habitants, craignant cette calamité, préfèrent perpétuer cette tradition et sacrifier une de leur fille. »

Attentif à cette histoire, Ximenpao hocha la tête et dit aux anciens : « Surtout, n’oubliez pas de me tenir informé de la prochaine cérémonie de mariage du Dieu de la rivière. Moi aussi, je veux y participer ! ».
Quelques temps plus tard, la cérémonie fut enfin organisée. Ximenpao, informé du lieu de la cérémonie s’y rendit. Une fois sur place, il vit les tyranneaux locaux, les fonctionnaires corrompus et les sorcières réunis, avec la jeune fille à marier et sa famille. Assis sur le bord de la rivière, près de 2 à 3000 personnes étaient sur place pour assister à la cérémonie !

Ximenpao observa alors le groupe de tyrans de la province. La sorcière devait avoir bien plus de 70 ans et était entourée d’une dizaine de jeunes disciples. Ximenpao s’approcha de ce groupe et questionna : « S’il vous plaît, jeune épouse de notre dieu de la rivière Hebo, pourriez-vous sortir me laisser admirer votre beauté ? » La jeune fille, aidée par les porteurs de palanquin, sortit doucement. Ximenpao découvrit face à lui une jeune fille certes fort jolie, mais pâle de terreur, toute tremblotante, ne pouvant se tenir droite. Ximenpao l’observa longtemps, la regarda de la tête aux pieds, puis se tourna vers les notables et les sorcières et leur dit : « Il me semble que cette jeune fille est loin d’être très jolie, j’ai peur que sa majesté le dieu de la rivière ne puisse apprécier son épouse et se mettent en colère. » et s’adressant à la vieille sorcière : « Veuillez, s’il vous plaît, vous empresser d’informer le dieu de la rivière que nous allons rechercher une autre épouse et que nous repoussons la cérémonie à demain» Il ordonna alors que la sorcière soit jetée dans la rivière pour prévenir le dieu Hebo.

Quelques instants plus tard, Ximenpao secoua la tête et dit : « Comment se fait-il que cette dame ne soit toujours pas revenue. Il lui en faut du temps pour prévenir le dieu. Envoyons un disciple voir ce qu’elle fait ! » Et Ximenpao ordonna de jeter un des disciples de la sorcière dans la rivière.
Ayant attendus déjà plusieurs instants, Ximenpao s’exclama : « Ohlala, cette apprentie sorcière est bien longue à revenir. Envoyons une autre apprentie la presser un peu. » Et hop, une nouvelle sorcière à la mer ! Et trois apprenties sorcières furent ainsi jetées dans la rivière.

Puis Ximenpao interrogea : « Hmmm, c’est vraiment très étrange… Personne ne revient de la rivière. Bon il est vrai que ce sont des filles après tout. Peut-être que leurs paroles ne sont pas claires. Envoyons donc des messieurs pour parlementer avec notre dieu de la rivière ! »
Et hop ! Hop ! Hop ! Trois notables à la mer.
Ximenpao se prosterna sur le bord de la rivière et fit mine d’attendre le retour de ces notables.
Mais pendant ce temps, les fonctionnaires et tyranneaux locaux restants trépignaient de nervosité.

Quand tout à coup, Ximenpao tourna la tête vers eux, les regarda fixement et leur dit :
« la vieille sorcière, ses trois disciples et les trois notables ne reviennent pas. Que faut-il faire? Ne faudrait-il pas demander aux fonctionnaires de s’adresser directement au dieu de la rivière.» A ces mots, les fonctionnaires s’agenouillèrent immédiatement et ne cessèrent de se prosterner devant Ximenpao. Ils se courbèrent tellement près du sol, que leurs têtes cognèrent le sol jusqu’à ce que le sang se mit à couler. Ils avaient perdus toutes leurs couleurs, ils étaient livides.
Ximenpao attendit encore quelques instants, puis s’adressa à ces fonctionnaires sur un ton languissant et lassé : « Levez-vous ! il me semble que votre Dieu de la rivière, que l’on nomme Hebo, apprécie ses convives. Laissons-les là où ils sont ; vous n’avez plus besoin d’attendre leur retour, rentrez donc chez vous ! »

Et c’est ainsi que plus personne n’osa reparler de la cérémonie de mariage du dieu de la rivière Hebo !

Voilà comment Ximenpao, magistrat du roi de Wei, sous les royaumes combattants, brisa une superstition néfaste à toute une région.

lundi 2 octobre 2006

Oeuvres de Hou Chun-Ming : "Gods Searching"

Découvrons ensemble un artiste taiwanais, Hou Chun-Ming, qui a la particularité d'avoir créer un personnage récurrent dans ses oeuvres, un androgyne inspiré par l'artiste lui-même.


Originaire de Chiayi dans le sud de Taiwan, d’un petit village nommé, « liu Jiao », c’est à dire « six jambes »,Hou Chun-Ming part à la recherche de lui-même. Il choisit comme nom d’artiste, ou surnom « Liu Jiao Hou Shih ». C'est un personnage androgyne ayant une naissance plus ou moins tourmentée.
Ce personnage, un androgyne à six jambes représenté dans les œuvres de Hou Chun-Ming, serait né d’un viol dont aurait été victime sa mère. A la naissance de cet enfant, les habitants du village auraient battu cette créature grotesque (haïe, par ailleurs, bien avant sa naissance) plongeant ainsi sa mère dans la folie, juste avant sa mort. A la mort de sa mère, cette créature aurait arraché sa tête de chagrin et de colère et se serait mise à crier et à pleurer sa mère chaque soir. Ce monstre aurait hérité des deux jambes du violeur et des jambes et des bras de sa mère. Un monstre à six pattes, mi-homme, mi-femme, pouvant ainsi assumer ses désirs sexuels et affronter la répression sexuelle en se suffisant à lui-même.

Cette créature nommée, « six pattes » par l’artiste, ne se résignant pas à son destin est représentée par Hou Chun-Ming, gravé sur du bois, avec un texte explicatif sous chaque représentation.

Avec cette technique d’imprimerie, proche de l’imprimerie et de l’imagerie des livres bouddhistes, Hou représente ses démons, ses soucis et ses réflexions sur notre société, les désirs réprouvés, la moralité… Cette série est non seulement une façon de détruire la moralité actuelle, mais aussi et c’est pour cela qu’il utilise les techniques bouddhistes pour la représentation de sa créature, montre l’importance des temples. Ils seraient une sorte d’échappatoire et de protecteur de la sombre humanité.

Pour découvrir les oeuvres de Hou Chun-Ming

dimanche 17 septembre 2006

Ne rien faire qu’attendre !

Il y a très longtemps dans la Chine ancienne, un chaud matin de printemps, un fermier, tout en sueur, cultivait laborieusement son jardin. Quand tout à coup, un gros lapin sortit en trombe de son terrier, fonça tête baissée vers un gros tronc d’arbre où il tomba sans connaissance. Le lapin était mort.

Le fermier se hâta de ramasser ce lapin et, trophée à la main, commença à saliver en pensant à la délicieuse viande de lapin. Il était tout content, le fermier. Il pourrait rapporter un lapin à la maison sans avoir dépenser un brin d’énergie pour le chasser. Non seulement bien gras mais aussi bien gros, le gibier était excellent pour se régaler devant un bon gros plat bien mijoté par madame. Sans terminer son travail, laissant tout en plan, il se dirigea droit vers la maison avec son lapin dans les mains comme trophée.
A peine passé la porte d’entrée, la femme du fermier, surprise par cet intrusion, montrant du doigt ce gibier, s'esclaffa.
Et le fermier tout sourire, fier de lui : « ce lapin ? Haha, il est apparu comme par enchantement, s’est cogné contre un tronc d’arbre et tombé juste à mes pieds».
A la vue du fermier, son mari, brandissant son lapin et tout en écoutant son histoire abracadabrante, la femme du fermier se mit à rire, à rire, mais à rire tellement fort qu’elle eut un mal fou à se remettre au travail.
Puis elle prépara le lapin, et cuisina un plat si délicieux qu’elle dit au fermier :
« Si tu peux me rapporter un lapin tous les jours, alors je te préparerai un festin à tous les repas!»

A ces mots alléchants, le fermier retourna dans son jardin, laissa pelles, bêches et râteaux et ne fit plus rien qu’attendre. Adossé, allongé au pied d’un arbre, il espérait qu'un autre lapin surgisse de son terrier, trébuche, butte la tête contre un arbre et tombe allongé au pied de celui-ci.

Mais, ce ne fut pas aussi simple. Les jours passèrent et aucun lapin ne fit son apparition. Et pendant que le fermier attendait patiemment, adossé au tronc de l’arbre, la mauvaise herbe avait déjà envahi tout le jardin. Toutes ses plantations étaient devenues des herbes géantes.
Le jardin devint pelouse! Et tout le monde se moqua de ce fermier paresseux, si fainéant, qu’il en avait tout perdu!

mardi 4 juillet 2006

Wu Mali, artiste taiwanaise militante

A la découverte de l'artiste taiwanaise Wu Mali.


En 1979, elle sort diplômée du département d’allemand à Taipei et s’oriente vers l’art qu’elle étudie à l’académie nationale des arts de Dusseldorf. De formation hétéroclite, on retrouve dans ses oeuvres un amalgame de discipline tel que la littérature, la langue et l’histoire.

Pour ses oeuvres, Wu Mali utilise les objets du quotidien qu'elle appelle les objets de la vie, avec lesquels elle réalise des installations. Son objectif est ainsi de tisser un lien entre l’espace de l’oeuvre et l’oeuvre elle –même, tout en créant un lien entre elle-même et la communauté. De cette façon, ses oeuvres proposent aux spectateurs une nouvelle société de valeurs indépendantes et tentent de créer un monde alternatif à la société patriarcale taiwanaise.


Oeuvre féministe de Wu Mali , pour la commémoration des femmes victimes de la répression du 28 février 1947.


Le 28 février, fête nationale sur l'île de Taiwan, commémore les victimes de la terreur blanche, la période de répression organisée par l'armée du Guomindang sur la populations taiwanaise.

En 1998, Wu Mali innove cette commération en s'intéressant particulièrement aux femmes victimes de cette répression. Ainsi, elle réalise une installation à partir de deux feuilles de verre. Sur l’une des feuilles, il est rappelé que si les victimes de la guerre civile ont été réhabilitées dans les années 90, les femmes elles ne l’ont jamais été.

Sur la seconde feuille, un très joli texte est rédigé. Ce texte consiste à rappeler tout ce que les femmes ont enduré durant cette période mais qui n’a jamais été pris en compte.

Voici un extrait du texte, traduit en français :

Elle a lavé les corps des victimes de ses larmes

A la fin des funérailles et après le départ de la famille.

Avant de tomber en larmes et de s’écrier : mon dieu, j’ai peur ! Mon dieu, j’ai peur!

Elle a fait sa toilette et s’est assise à la maison dans l’attente de la vie , de la mort

Elle fut violée, baffouée, laissa les enfants et partit

...

Entre ces deux feuilles de verre est projeté une vidéo de la rivière Keelung, symbole poignant, puisqu’il s’agit de la rivière où les victimes du massacre furent jetées.


Wu Mali, artiste militante


Actuellement, Wu Mali poursuit son objectif de rapprochement avec le public et s’oriente de plus en plus vers la sculpture sociale comme son mentor le célèbre artiste allemand pionnier en la matière, Joseph Beuys.

Ainsi l’oeuvre la plus récente de WU Mali est son action sur la rivière Danshui dans le nord de Taipei.

Au mois de mai de cette année, elle a organisé une rencontre entre groupes féministes et écologiques pour réfléchir ensemble aux problèmes de la pollution des eaux. Ces rencontres ont eu lieu sur un bateau navigant sur la rivière Danshui, en compagnie de chercheurs invités pour présenter l’histoire de cette rivière, son évolution, les raisons de la dégradation de ses eaux. Au fil de ces rencontres, Wu Mali a également réalisé des sculptures et autres installations, à partir des déchets récupérés dans la rivière Danshui. Cette installation dirigée par Wu Mali est très révélatrice de la nouvelle forme de l’art de cet artiste : un art proche du public, utile et accessible à tous. Wu Mali contribue ainsi à changer les rapports des individus sur l’art et à les rapprocher des problèmes essentiels de la société. De cette manière, l'artiste taiwanaise rend à l’artiste sa fonction première qui consiste à modifier la vision du monde!

Voilà donc une artiste engagée, très prolifique, qui multiplie actuellement les rencontres et interventions à Taiwan.

mardi 20 juin 2006

« le festin » de Liu Shih-Fen


Liu Shih-fen est une artiste qui se distingue par ses idées féministes, notamment avec son oeuvre « le festin » en 1998.

Il s’agit du festin d’un squelette masculin au pénis en or, préparé par une femme lors d’un dîner plutôt baroque. Cependant, ce squelette possède la bouche de l’artiste renvoyant ainsi au visiteur une image androgyne du squelette. Ce squelette représenté sur un étrier en fer peut-être alors interprété de différentes façons suivant le sexe et les expériences des visiteurs. Un homme y verra plus une représentation sexuelle tandis qu’une femme imaginera plutôt une visite chez le gynéco. Une femme ayant vécu un avortement portera à son tour un regard différent sur cette scène. Cette oeuvre permet à l’artiste de dénoncer les rapports hiérarchiques et de dominations sexuelles continuellement sous entendus à Taiwan entre les infirmières, quasiment 100% féminines, et les médecins à majorité masculine.

Oeuvres de Liu Shih-Fen

« Gift », oeuvre de Liu Shih-Fen


Le travail de l'artiste Liu Shih-Fen est avant tout un travail pour la défense de la liberté, dont l'oeuvre la plus représentatrice serait l’oeuvre qu’elle a réalisé en 2003 : une installation vidéo intitulée « Gift ». Il s'agit d'une oeuvre réalisée à partir d’une expérience réelle, vécue par l’artiste, au service gynécologique où elle travaille. C'est une animation vidéo sur la naissance d’un bébé né sans cerveau appelé « Wa-Pao » (ce qui veut dire « la poupée précieuse ») pour permettre à sa soeur jumelle de naître et d’exister. Ce bébé sans cerveau a vécu 26 heures. L’infirmière en charge de Wa-pao était Liu Shih-Fen, elle-même. Elle a filmé le bébé lors de ses quelques heures de vie. Puis avec l’autorisation des parents, bien sûr, elle a utilisé cette vidéo pour son oeuvre « Gift ».

Cette oeuvre est une installation vidéo où un écran projette la vidéo de Wa-pao modifiée par odrinateur. Celui-ci est installé au fond d’une salle et fait face à un autre écran diffusant l’oeil de la mère de l’enfant - La mère ayant entretenu un rapport très particulier avec l’artiste Liu Shih-Fen, à savoir la seule personne ayant connu la petite Wa-pao, la mère elle-même ne l’ayant jamais connu. Ainsi les regards de la mère et de cette poupée précieuse se rencontrent.

En entrant dans la salle d’exposition de cette installation, les spectateurs doivent d’abord traverser un long couloir avant d’arriver face à l’écran. Et sur cet écran est alors projeté une image de Wa-pao divisée en deux où les tissus de son cerveau sont visibles. Le plus surprenant et souvent, le plus rebutant, pour les spectateurs est que celui-ci en touchant l’écran peut activer le cerveau de l’enfant, et ainsi la faire cligner des yeux, et activer son cerveau. Il se transforme alors progressivement en un coeur rouge vif pour devenir une blanche colombe prenant son envol en laissant des yeux derrière elle : le symbole du regard spirituel de cet enfant. Les regards de la mère et de l’enfant se croisent et se consolent ensemble, libérés tous les deux. La liberté du choix de la mère, la liberté de l’enfant délesté de son fardeau et la liberté d’être un court instant ensemble malgré le destin inaliénable de cet enfant.

Les droits d'auteurs appartiennent à l'auteur de cette image:

Oeuvres de Liu Shih-Fen

mardi 6 juin 2006

« Douze formations du Karma », oeuvre de Chen Chieh-Jen

L'oeuvre de Chen Chieh-Jen, à la fois photographique et vidéo évolue vers une représentation plus contemporaine des Taiwanais voir même ultramoderne, notamment avec sa série « Douze formations du Karma » réalisée en 2000. Ici ce sont des photos où des corps nus, mutilés, blessés, greffés de pièces métalliques, ou de caméras vidéo évoluent dans les passages piétons souterrains de Taipei. Ces images rendent alors le spectateur très perplexe, ces personnages ont-ils une maladie, est-ce en temps de guerre, est-ce une attaque terroriste, ou une vision futuriste de mutations cyborg ?

Par ailleurs, la vision de ces corps blessés, décharnés, nus et handicapés, nous rappelle des scènes de l’enfer, où quelques indices de rédemption nous sont offerts. Ces indices sont en relation avec la formation du Karma enseigné par le bouddhisme, religion profondément intégrée dans les croyances populaires et dans l’oeuvre de Chen Chieh-jen. Ainsi, les indices de rédemption sont pour encourager les Taiwanais à connaître leur destin et ainsi à essayer de le changer. Cette réflexion sur le destin à travers les oeuvres de Chen Chieh-jen amène les spectateurs au coeur de la violence, et non plus comme dans ses oeuvres précédentes aux origines de cette violence.

Oeuvres de Chen Chieh-Jen

« Revolt of Body and Soul », oeuvre de Chen Chieh-Jen

L’oeuvre la plus marquante de l'artiste Chen Chieh-Jen est sa série « Revolt of Body and Soul », où il utilise d’anciennes photos représentant l’exécution traditionnelle chinoise par démembrement progressif appelé Lingchi et photographiés par les occidentaux au début du 20ème siècle.

C’est ainsi en modifiant par ordinateur ces photographies célèbres en Occident, qu’il va représenter des scènes horribles, violentes, stupéfiantes, retraçant l’histoire et l’évolution d’une société qu’il juge démembrée, comme les victimes lors de ces scènes d’exécution chinoise. Ainsi en reconstituant ces scènes de tortures en y intégrant la photo de son visage, et différentes autres scènes de plaisirs, ou de sectionnement, il symbolise une société taiwanaise fondée sur des omissions, des reconstitutions, des coupures et autres remaniements de l’histoire opérées depuis des années par les gouvernements successifs au pouvoir.

Cette série est un ensemble d’oeuvres d’abord réalisées à partir de photos prises entre 1900 et 1950 (date coïncidant avec le début de la Chine moderne et de l’instauration de la loi martiale à Taiwan), puis ces photos sont modifiées pour représenter l’effet que la violence de cette période a produit sur une société taiwanaise se détruisant elle-même, avec des méthodes légales d’exclusions sociales, de reconstitutions de l’histoire, et de coupures en période de loi martiale.

Ainsi dans ses oeuvres, la violence y est externe, interne et institutionnelle.

Ainsi, pour mieux comprendre son oeuvre, abondante de symbole, je vous propose de nous attarder un instant sur une oeuvre, exposée actuellement au Musée d’art contemporain de Taipei, le Taipei Fine Arts Museum, le triptyque « Lost to voice ».

Ce triptyque a pour source une photo prise en 1946 lors de la guerre civile où les Communistes armés ont pris un village chinois, Chongli, et l’ont complètement massacré. La photo de base est déjà une scène terrible, proche des représentations que l’on peut avoir généralement de l’enfer, montrant un carnage monstrueux. Or désormais, avec l’oeuvre de Chen Chieh-jen ce massacre atteint le sommet de l’horreur.

Et à cette scène d’horreur, Chen Chieh-jen y ajoute des corps se masturbant et se mutilant eux-mêmes tous ayant l’apparence de l’artiste lui-même, se posant ainsi comme victime de ces massacres, et comme auteur de ceux-ci à la fois. Montrant ainsi la double personnalité de la société taiwanaise à la fois victime et bourreau. Sur cette photo il y ajoute aussi des frères siamois, ayant également son apparence, personnage récurant dans son oeuvre, représentant ainsi des siamois se détruisant et tout en s’amusant ensemble. Ces siamois, non seulement expriment la destruction, et la prise de plaisir, mais également représente un état et son peuple se déchirant mutuellement. Ici les siamois dansent sur les corps et sont transportés de joies, tournés vers les spectateurs, amenant ainsi le spectateur a atteindre le sommet de l’exaspération face à cette scène d’horreur !

Cette série sur la révolte du corps et de l’esprit réalisée à la fin des années 90 est alors complétée par une oeuvre vidéo intitulée « Lingchi : Echoes of a Historical Photograph ».

Oeuvres de Chen Chieh-Jen

mardi 23 mai 2006

City Disqualified-Ximen District, oeuvre de Yuan Goang-Ming

En 2000, avec sa nouvelle oeuvre, « City Disqualified-Ximen District », une série de photographies numériques prises à Ximen, à l’ouest de Taipei, Yuan Goang-Ming prend à contre-pied l’utilisation du numérique, qui consiste à réaliser rapidement des photos modifiables par ordinateur, pour faire preuve au contraire d’une incroyable rigueur, en réalisant une photo résultant de plus d’une centaine de clichés d’un même quartier pris à différents instants.

Cette oeuvre représente le quartier Ximen de jours, mais absolument dénué d’individus ou même de voitures, alors que tous les magasins y sont ouverts. Dans ce quartier ultra commerçant, la photo paraît insensée et complètement retouchée numériquement, mais pourtant non. Ici Yuan Goang-ming a réalisé un travail de patience et de rigueur incroyable ; c’est une oeuvre réunissant plusieurs centaines d’images superposées de Ximen le jour, coupées, réduites, agrandies, pour finalement être harmonisées par une couleur identique et ressembler à une simple photographie.

Cette série, sur le quartier Ximending, quartier prospère à la fin du 19ème et début du 20ème, puis renaissant dans les années 70, fut un travail de trois années, pour obtenir un résultat incroyable non pas de simples photos numériques mais plutôt d’une sorte de compression du temps et de l’espace, qui serait peint sur la photo. Une sorte de photo-peinture, une nouvelle forme de représentation, où l’auteur reste très attaché à l’art traditionnel, par son travail de rigueur, et de peinture au numérique.

Chez Yuan Goang-Ming, l’être humain et les véhicules sont synonymes de vitesse et réduisent ainsi l’espace, pour éliminer l’humanité d’un lieu. Ainsi avec cette oeuvre dénuée d’être humain, il fait vivre un lieu autrefois submergé d’humains et noyé dans la vitesse. Et cette espace, si étrange et confus à nos yeux, sous un ciel bleu et froid, trouvant désormais son humanité, se rit de nous, sous nos yeux incertains et inquiets face à cette pure beauté.

Oeuvres de Yuan Goang-Ming

jeudi 12 janvier 2006

Tromper les simples par la ruse

Fable : tromper les simples par la ruse.

Il y a déjà des milliers d’années, dans la Chine ancienne,vivaient un homme que l’on appelait Ju-Gong. Sa passion était les singes. Il les aimait tellement qu’il leur consacrait toute sa vie. Il ne travaillait plus. Il avait installé ses singes dans son jardin et leur avait construit une maison, avec chacun une chambre. Chez lui, vivaient des dizaines de singes. Il y en avait des bruns, d’autres châtains ou encore des roux et des blonds. Et il y en avait des gros, des grands, des petits, des mâles, des femelles, enfin bref, ensemble ils formaient une famille.
Ju-Gong passait ses journées à jouer avec eux, à les nourrir, à s’en occuper comme si ils étaient ses propres enfants. Les singes, eux aussi, semblaient plutôt à l’aise avec Ju-Gong. Ils avaient même l’air de l’aimer. Ils formaient une joyeuse famille!

Mais les singes se reproduisent n’est-ce pas. Ainsi, la famille de Ju-Gong ne cessait de se développer. Alors que le nombre de bouches à nourrir augmentait, les poches de Ju-Gong se vidaient. Et oui, il consacrait tellement de temps à ses singes, qu’il en oubliait de travailler. Jusqu’au jour où Ju-Gong fut réellement ruiné. «Mais que dois-je faire ? Mes singes grandissent, mon élevage aussi et bientôt je n’aurai plus rien pour les nourrir. C’est une catastrophe !»

Et le pauvre Ju-Gong, que l’inquiétude tira de son fauteuil, se mit à chercher une solution. Il piétinait sur place tout en se parlant à lui-même :
« Mais je ne peux quand même pas vendre mes singes! Bien sûr, ce serait plus simple. Non, je ne peux pas faire une chose pareille! Ou alors, ce serait une solution plus simple, je pourrais les abandonner dans la forêt! Leur redonner leur liberté! Oh non, c’est au-dessus de mes forces, non vraiment c’est impossible, les abandonner serait trop horrible!»
Alors il prit une décision.

Il appela toute sa famille de singes. Il les réunit tous devant lui, les fit s’installer confortablement, pendant que lui, Ju-Gong, le chef de famille, se tenait debout, au centre du cercle formé par ses auditeurs singes. Il tenait quatre marrons dans ses mains, qu’il déposa soigneusement devant eux. Il fit le silence complet autour de lui et commença sa démonstration :
« Mes amis, mes enfants, je vais vous demander de bien vouloir m’écouter avec attention! Il me semble que vous êtes désormais tous en âge de comprendre :
Voilà, votre maître, moi-même donc, est ruiné ! Par conséquent, il m’est désormais difficile de vous nourrir comme autrefois. Il va falloir se soutenir mutuellement. Pour cela, je vais vous demander à tous de vous sacrifier un peu.»
Les singes étaient de très bons auditeurs. Ils avaient tous l’air compatissant et gémissaient de peine.
Au même moment, à l’est, le soleil se leva . Ju-gong profita de cette occasion pour montrer du doigt le soleil tout en expliquant:
«Je veux au moins vous promettre de toujours vous servir le strict minimum». Voilà comment je procèderai : il prit alors trois marrons qu’il montra aux singes. Puis, il dirigea lentement sa main vers l’ouest où il montra aux singes, cette fois-ci, non trois, mais quatre marrons. Ensuite, il remontra l’est, la direction où le soleil se lève. Et enfin, il tendit le bras vers l’ouest, là où l’on pouvait assister au coucher du soleil.
Ses gestes, simples et lents, étaient bien sûr pour expliquer aux singes que le matin il ne leur donnerait que trois marrons et quatre le soir.

Mais Ju-gong n’avait pas prévu que les singes seraient déçus. Chaque visage montrait de l’inquiétude et l’on pouvait même apercevoir leur lèvre et leurs paupières baissées. Ils faisaient tous la moue, comme les enfants lorsqu’ils n’ont pas ce qu’ils veulent . Puis, ils commencèrent à s’agiter. Et bien oui, pourquoi ils auraient seulement trois marrons le matin et puis quatre après. Pourquoi pas le contraire. Les singes se dressèrent, trépignèrent et l’émeute commença.

Ju-Gong très surpris par cette réaction, pensa d’abord que pour les singes trois ou quatre marrons, non décidément, ce n’était pas assez ! Sinon pourquoi seraient-ils dans une telle colère! Quand, il lui vint une idée : il prit d’abord quatre marrons, qu’il orienta vers l’est, puis trois qu’il orienta vers l’ouest. Ainsi les singes pouvaient comprendre qu’ils auraient d’abord quatre marrons puis seulement trois au crépuscule.
A cet instant, Ju-Gong put découvrir le sourire sur le visage des singes. Il arriva même à apercevoir quelques singes hocher la tête en guise d’approbation.
«Ah! Les singes ne sont après tout que des singes. Il leur manque quand même quelque chose.» se prit à penser Ju-Gong.
Ils ne pouvaient accepter moins pour commencer la journée. Et bien oui, les singes ne comprenaient pas que dans les deux cas, ils auraient au total sept marrons. Le résultat n'importait pas. Ils comprenaient seulement que dans un cas, ils n’en auraient que trois le matin, et dans l’autre, ils en auraient quatre.
« Il suffit qu’ils puissent d’abord en manger un de plus et les voilà contents! Les singes sont vraiment trop misérables! Et surtout très facile à tromper!» se réjouit Ju-Gong.