jeudi 12 janvier 2006

Tromper les simples par la ruse

Fable : tromper les simples par la ruse.

Il y a déjà des milliers d’années, dans la Chine ancienne,vivaient un homme que l’on appelait Ju-Gong. Sa passion était les singes. Il les aimait tellement qu’il leur consacrait toute sa vie. Il ne travaillait plus. Il avait installé ses singes dans son jardin et leur avait construit une maison, avec chacun une chambre. Chez lui, vivaient des dizaines de singes. Il y en avait des bruns, d’autres châtains ou encore des roux et des blonds. Et il y en avait des gros, des grands, des petits, des mâles, des femelles, enfin bref, ensemble ils formaient une famille.
Ju-Gong passait ses journées à jouer avec eux, à les nourrir, à s’en occuper comme si ils étaient ses propres enfants. Les singes, eux aussi, semblaient plutôt à l’aise avec Ju-Gong. Ils avaient même l’air de l’aimer. Ils formaient une joyeuse famille!

Mais les singes se reproduisent n’est-ce pas. Ainsi, la famille de Ju-Gong ne cessait de se développer. Alors que le nombre de bouches à nourrir augmentait, les poches de Ju-Gong se vidaient. Et oui, il consacrait tellement de temps à ses singes, qu’il en oubliait de travailler. Jusqu’au jour où Ju-Gong fut réellement ruiné. «Mais que dois-je faire ? Mes singes grandissent, mon élevage aussi et bientôt je n’aurai plus rien pour les nourrir. C’est une catastrophe !»

Et le pauvre Ju-Gong, que l’inquiétude tira de son fauteuil, se mit à chercher une solution. Il piétinait sur place tout en se parlant à lui-même :
« Mais je ne peux quand même pas vendre mes singes! Bien sûr, ce serait plus simple. Non, je ne peux pas faire une chose pareille! Ou alors, ce serait une solution plus simple, je pourrais les abandonner dans la forêt! Leur redonner leur liberté! Oh non, c’est au-dessus de mes forces, non vraiment c’est impossible, les abandonner serait trop horrible!»
Alors il prit une décision.

Il appela toute sa famille de singes. Il les réunit tous devant lui, les fit s’installer confortablement, pendant que lui, Ju-Gong, le chef de famille, se tenait debout, au centre du cercle formé par ses auditeurs singes. Il tenait quatre marrons dans ses mains, qu’il déposa soigneusement devant eux. Il fit le silence complet autour de lui et commença sa démonstration :
« Mes amis, mes enfants, je vais vous demander de bien vouloir m’écouter avec attention! Il me semble que vous êtes désormais tous en âge de comprendre :
Voilà, votre maître, moi-même donc, est ruiné ! Par conséquent, il m’est désormais difficile de vous nourrir comme autrefois. Il va falloir se soutenir mutuellement. Pour cela, je vais vous demander à tous de vous sacrifier un peu.»
Les singes étaient de très bons auditeurs. Ils avaient tous l’air compatissant et gémissaient de peine.
Au même moment, à l’est, le soleil se leva . Ju-gong profita de cette occasion pour montrer du doigt le soleil tout en expliquant:
«Je veux au moins vous promettre de toujours vous servir le strict minimum». Voilà comment je procèderai : il prit alors trois marrons qu’il montra aux singes. Puis, il dirigea lentement sa main vers l’ouest où il montra aux singes, cette fois-ci, non trois, mais quatre marrons. Ensuite, il remontra l’est, la direction où le soleil se lève. Et enfin, il tendit le bras vers l’ouest, là où l’on pouvait assister au coucher du soleil.
Ses gestes, simples et lents, étaient bien sûr pour expliquer aux singes que le matin il ne leur donnerait que trois marrons et quatre le soir.

Mais Ju-gong n’avait pas prévu que les singes seraient déçus. Chaque visage montrait de l’inquiétude et l’on pouvait même apercevoir leur lèvre et leurs paupières baissées. Ils faisaient tous la moue, comme les enfants lorsqu’ils n’ont pas ce qu’ils veulent . Puis, ils commencèrent à s’agiter. Et bien oui, pourquoi ils auraient seulement trois marrons le matin et puis quatre après. Pourquoi pas le contraire. Les singes se dressèrent, trépignèrent et l’émeute commença.

Ju-Gong très surpris par cette réaction, pensa d’abord que pour les singes trois ou quatre marrons, non décidément, ce n’était pas assez ! Sinon pourquoi seraient-ils dans une telle colère! Quand, il lui vint une idée : il prit d’abord quatre marrons, qu’il orienta vers l’est, puis trois qu’il orienta vers l’ouest. Ainsi les singes pouvaient comprendre qu’ils auraient d’abord quatre marrons puis seulement trois au crépuscule.
A cet instant, Ju-Gong put découvrir le sourire sur le visage des singes. Il arriva même à apercevoir quelques singes hocher la tête en guise d’approbation.
«Ah! Les singes ne sont après tout que des singes. Il leur manque quand même quelque chose.» se prit à penser Ju-Gong.
Ils ne pouvaient accepter moins pour commencer la journée. Et bien oui, les singes ne comprenaient pas que dans les deux cas, ils auraient au total sept marrons. Le résultat n'importait pas. Ils comprenaient seulement que dans un cas, ils n’en auraient que trois le matin, et dans l’autre, ils en auraient quatre.
« Il suffit qu’ils puissent d’abord en manger un de plus et les voilà contents! Les singes sont vraiment trop misérables! Et surtout très facile à tromper!» se réjouit Ju-Gong.