vendredi 29 juin 2007

Le Poisson - II

2ème partie

Ah Zhang se rappelait très bien de la dernière conversation avec son grand-père avant de rentrer chez son maître d’apprentissage.

« Ah Zhang, la prochaine fois que tu rentres à la maison, rapporte un poisson à la maison, ce serait bien. Ici à la montagne on n’en mange jamais. Toi tu vas au bord de la mer, tu pourras nous rapporter un bon gros poisson !! » lui avait dit son grand-père.

« La prochaine fois que je rentre ! Mais je ne sais même pas quand ce sera ! »

« Ben c’est pour ça que j’ai dit quand tu rentreras »

« Ben ça, ça dépend de mon maître. C’est pas moi qui décide. Et puis quand je rentrerais, heu ce n’est pas sûr que j’ai de l’argent hein ! C’est le patron qui décide ça aussi ! »

« Ben oui, c’est ce que j’ai dit ! Tu rapporteras un poisson à la maison quand tu auras de l’argent et quand tu pourras rentrer ! Et ton patron il te donne de l’argent quand ? » avait demandé son grand-père.

« Ben, c’est toi-même qui me l’a dit quand tu m’as emmené là-bas. Il faut d’abord que je sois apprentis pendant 3 ans et 4 mois pour avoir de l’argent. »

« Oui oui c’est vrai. Tu es là-bas pour apprendre la menuiserie. Il te faut encore combien de temps pour apprendre à faire une table ? »

« Faire une table. A ça, c’est pas facile, mais ça fait déjà longtemps que je sais faire ! » avait répondu fièrement Ah zhang.

« Ben alors, pourquoi tu apprends encore là-bas ! »

« Ben les 3ans et 4 mois de l’apprentissage ne sont pas terminés. »

« oh oh ! Tu y es depuis combien de temps déjà ? »

« Il me reste encore un an et demi ! Pftttt, j’ai l’impression que cet apprentissage n’en finira jamais ! » souffla Ah Zhang.

Mais son grand-père tout de suite réagit à cette exclamation :

« Hé ! Les jeunes ne devraient pas souffler comme ça ! »

« Ah bon pourquoi ? »

« Ben c’est comme ça ! Hmmm, ça porte malheur voilà » lui dit son grand-père. Mais Ah Zhang, la tête baissée, le regard levé vers son grand-père : « Ha Gong ! »

« Hein ! »

« Et quand on est très triste on ne peut pas souffler non plus ? Parce que souffler dans ces cas là c’est très agréable ! »

« Ahahah » soudainement Ah gong se mit à rire.

« Ben quoi qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? »

« Je n’avais pas remarqué que tu avais déjà grandi. Tu parles comme un grand maintenant ! Et eheh fait attention ! Ne te penche pas trop vers là, tu pourrais tomber. C’est très profond de ce côté-là et les bambous finiraient de te blesser si tu tombais dans ce ravin ! »

« Ah gong tu vas jusqu’où comme ça ? »

« Ben nulle part, je t’accompagne jusqu’au bus, c’est tout ! »

« Ne t’inquiète pas, je ferai attention, je peux très bien y aller tout seul ! Et puis la prochaine fois, je rapporterai un poisson c’est promis ! » Ah Zhang et Ah gong avançaient ainsi jusqu’à l’arrêt de bus entrecoupant parfois leur chemin par quelques bribes de discussions. Arrivé à un tunnel, Ah gong laissa passer Ah Zhang le premier et le suivit. Le silence régnait dans ce tunnel très sombre, quand Ah Gond demanda à son petit-fils :

« Ca va ? C’est pas trop dur le boulot ? »

« Ben heum heum ! c’est dur mais c’est comme ça ! Y’a rien à faire. Le patron me donne tout à faire, même les couches du bébé c’est moi qui les change alors ! »

« Quoi et la femme du patron qu’est-ce qu’elle fait ? Rien ? Mais ne t’inquiète pas ! Patiente un peu, c’est presque terminé ! »

« Ben oui. Ca tu me l’as déjà dit ! »

« Hein n’est-ce pas ! Il faut supporter. C’est comme ça. Soit patient et tu feras un bon exemple pour ton petit frère et ta petite sœur. »

Mais Ah Zhang n’écoutait déjà plus les recommandations de son grand-père entendues déjà maintes et maintes fois. Il observait les chèvres dans le champ. Elles étaient à eux. C’était leurs chèvres ! Quand il demanda :

« Et nos chèvres elles vont bien ? »

« Et oui, pas mal ! Elles vont bien ! »

« Ben il faudrait en élever plus non ? »

« Oui j’y ai déjà pensé » confia son grand-père.

« Si on en élève plus, on aura encore plus de petits chevreaux »

« Oui tu as raison, j’y avais déjà pensé »

« Ben oui depuis le temps qu’on n’en a que trois ! » s’exclama Ah Zhang.

« Et en plus que des mâles ».

« Les mâles ne servent à rien. »

« Ben si ce n’est que des femelles ce n’est pas mieux hein ! »

« Ben j’avais pensé que si on avait plus de chèvres et des chevreaux on pourrait les vendre et alors acheter des outils de menuiserie avec cet argent. » Et tout en parlant, Ah Zhang se pencha pour arracher une brindille qu’il mit entre ses dents.

« Et fait attention tu vas te couper, c’est dangereux ça ! ». Puis Ah Gong revint immédiatement à leur conversation :

« Parce que tu veux un outil de menuiserie ? »

« Ben oui. Tu sais grand-père je ne sais pas que faire des tables. Je sais aussi faire des étagères, des coffres, des lits, des armoires ! J’ai déjà tout fait. »

Et Ah Gong heureux de cette bonne nouvelle : « Et bien alors on t’achètera un bel atelier ! avec l’argent des chèvres ! c’est promis ! »

« Quand » s’inquiéta Ah Zhang.

« Oh la, ne sois pas si pressé ! Ne t’inquiète pas on te l’achètera ton atelier. Je vais aller de ce pas échanger deux boucs contre une chèvre. Et avec un mâle et une femelle on pourra commencer tout de suite à faire des chevreaux. »

« Ben il faut te dépêcher hein, parce que je suis presque un menuisier maintenant ! »

« Bon c’est bien, mais n’oublie pas que parce que tu as presque fini, même si c’est dur tu dois le supporter d’accord ? »

« Oui d’accord ! » répondit Ah Zhang quand ils aperçurent enfin l’arrêt de bus de Pitou. Et ils marchèrent en silence jusqu’à l’arrêt de bus.

Le Poisson, d'après la nouvelle de Huang Chun-Ming


Voici la première partie de l'histoire Poisson, d'après la nouvelle de Huang Chun-Ming.

« Ah Gong, Ah Gong, tu m’avais dit de rapporter un poisson n’est-ce pas ? Et bien ça y est, je l’ai rapporté. Un joli poisson, un bonito ! » se répétait à lui même le jeune Ah Zhang perché, redressé très droit sur sa vieille bicyclette rapporté d’outre tombe ! Il était fier, il conduisait une bicyclette ! Elle était grande, seul un adulte, un homme, un vrai pouvait monter sur cette bicyclette et y atteindre les pédales, et lui enfin, Ah Zhang pouvait la conduire ! Il était assez grand désormais. Au début, quand il avait sortit la bicyclette de son cimetière il s’était installé sous le cadran, de là, courbé un peu, il pouvait pédaler sans difficulté, mais il était grand désormais s’était-il fait remarquer à lui-même, il pouvait la conduire comme les grands maintenant, assis sur la selle, il devrait bien atteindre les pédales. Alors il s’était perché sur cette selle au-dessus du cadran et cahin-caha, tantôt penché à gauche, tantôt à droite, il conduisait sa bicyclette. Sur son vélo, il avait aussi accroché les bonitos tout frais rapportés du marché. Ceux-ci enveloppé dans des feuilles de tarot il les avait fixés sur les poignées du guidon. Fier de sa trouvaille, il conduisait son vélo bringuebalant tout droit vers sa destination, la maison de son grand-père ! Ah oui il serait content son grand-père de le revoir ! Il avait rapporté les bonitos, du poisson. Il avait rapporté du poisson à la montagne pour sa famille. Grand-père, petit frère et petite sœur ils seraient tous aux anges, ils pourraient manger du poisson !! Et en plus, ils verraient que Ah Zhang avait un vélo, un vrai vélo d’adulte ! Il avait grandi ! Avec ce vélo il pourrait économiser les 12 sous du bus qu’il lui fallait dépenser pour rentrer chez lui, à Pitou dans la montagne. Cette bicyclette, il l’avait récupérée chez la famille qui l’employait comme apprentis. Elle était vieille, personne ne la voulait alors il l’avait empruntée pour rentrer chez lui.

Sur le chemin de la maison, Ah Zhang ne réfléchissait à rien, il était heureux, il ne pensait qu’à la joie de son grand-père à la vue du poisson. Même les couinements et grincements douloureux de la vieille bicyclette ne pouvaient le sortir de son rêve. Il se voyait déjà sur le porche de la maison, les deux poissons dans les mains les bras levés vers son grand-père et face à ce dernier ébahi devant les deux poissons de son petit-fils, lui disant :

« Ben quoi ? Je n’aurai quand même pas oublié ! J’ai rapporté du poisson !! »

...

vendredi 22 juin 2007

La légende du serpent blanc - II

Ayant repris forme humaine peu de temps après, Bai Suzhan décida de sauver Xuxian. Il fallait le ramener à la vie. Les serpents blancs et azur connaissaient la plante qui rendait immortelle de la montagne des immortels. Ils savaient aussi que seul le vieux sage des montagnes pouvait leur donner. Mais Suzhan, le serpent blanc, choisit d’outrepasser les règles. Son mari, son bien-aimé mourait. Il lui fallait trouver au plus vite cette plante immortelle. Elle partit l’arracher elle-même. Et son mari, Xuxian, put revenir à la vie.
A son réveil, après son long voyage parmi les morts, , Xuxian avait fait son choix. Serpent ou femme, il aimait Suzhan, il aimait sa bonté, sa sagesse envers lui. Et non, il ne pouvait la quitter. Ils étaient mari et femme, et cela pour la vie.

Leur choix fut bien sûr contesté et le bonze Fahai revint chercher Xuxian.

Xuxian avait outrepassé les règles. Il avait sauvé un serpent de mauvais augure, il cohabitait avec cette créature. Il fallait éduquer Xuxian. Il lui fallait apprendre les préceptes de la vie selon le cycle de la vie. Pour cela, Fahai enferma Xuxian. Celui-ci enfermé, il pourrait enfin réfléchir à son destin et briser son cycle de vie déjà si mal commencé.
Emprisonné, Xuxian était anéanti. Pourquoi cette décision si injuste ? Il aimait sa femme et il vivait avec elle, quoi de plus noble ? Pourquoi lui fallait-il changer sa vie ? Sa vie était la plus parfaite de toutes les vies. Il vivait avec la personne de son choix, avec la personne de son cœur.
« Relâchez-moi !! criait-il à longueur de journée. Votre paradis céleste ne m’intéresse pas. J’aime ma vie ainsi, avec ma femme, ma tendre épouse. Mon paradis, c’est sur cette terre, auprès de ma femme ! » Hélas la colère de Xuxian fut vaine.

De son côté, Suzhan, elle non plus, n’avait pas abandonné son époux. Celui-ci vivant, elle voulait désormais le libérer. Alors décidée, elle partit affronter le bonze Fahai.
Et face au bonze, elle le menaça :
« Fahai, libère mon mari. Tes menaces et ton comportement ne mène nulle part. Xuxian est en moi désormais ! Il est dans mon ventre !! Je porte son fils!! Libère-le !! » ordonna Suzhan déjà armé d’un long sabre et prête à se lancer contre le bonze.

« Il faudra d’abord m’affronter ! »

Alors Suzhan fit appel à la mer, à la mer de l’est et pria le dragon de lui prêter sa mer. Les vagues se soulevèrent pour recouvrirent toute la région de Hangzhou.
Cependant, le bonze était un maître en attaque. Il savait comment contrer cette terrible mer et la repoussa. Leur combat fut terrible jusqu’à ce que Suzhan, épuisée, se fit prendre par les gardiens du ciel des immortels. Ces derniers, envoyés par la mère du roi céleste, avaient pour mission de capturer ce citoyen du ciel irrespectueux. Il avait franchi le mur des relations entre mortels et immortels. Il fallait arrêter ce serpent blanc. Fahai, soucieux de l’enfant en Suzhan, pria cependant la mère céleste de libérer Bai Suzhan, le serpent blanc. Il lui fallait d’abord donner naissance. Une vie était en elle.

Quelques mois plus tard, le fils de Bai Suzhan et Xuxian naquit. Mais hélas, ce petit être ne put connaître sa maman. Aussitôt naissance donnée, le bonze Fahai revint à Hangzhou capturer le serpent blanc, Bai Suzhan.
Elle fut enfermée dans la pagode de Hangzhou par un sortilège. Celui-ci devait se dissiper lorsque les fleurs pousseraient sur la colonne de bronze à l’entrée de la pagode.

Les jours passèrent, les ans passèrent et le fils du couple interdit grandit. A 18 ans, il devint administrateur du royaume. Il avait réussi son examen. Xuxian et son fils célébrèrent ensemble cette réussite. Pour cela, ils se rendirent à la pagode de Hangzhou où résidait sa mère, Bai Suzhan. Ce jour-là, le 5ème jour du 5ème mois il faisait une chaleur terrible, un soleil immense brillait au-dessus de la pagode de Hangzhou, si bien que des fleurs apparurent sur le bronze de l’entrée. Et c’est ainsi que Bai Suzhan sortit de la pagode. Libérée, elle put enfin revoir son fils et son époux bien-aimé, avant de repartir très haut dans le ciel, dans la montagne des immortels d’où elle provenait !



La légende du serpent blanc - I

D’après la légende, au pays des immortels vivaient deux serpents, l’un blanc et l’autre azur. Ils s’essayaient chaque jour à imiter les humains et à prendre leur apparence. Et le jour où ils réussirent parfaitement à leur ressembler, ils décidèrent de descendre au pays des mortels pour faire leur connaissance. Pour cela, ils prirent l’apparence de deux belles jeunes femmes, Bai Suzhan et sa sœur aînée, puis descendirent sur terre, dans la région de Hangzhou.

Ce jour-là, dans la région de Hangzhou, les habitants célébraient tous leurs morts et leurs ancêtres. Un des notables de la région, Xuxian, comme tous les habitants, souhaitait se rendre auprès du tombeau de ses ancêtres pour leur faire des offrandes. Ainsi, il devait se rendre dans son village natal. Il pria un aimable pêcheur de le prendre sur sa modeste embarcation et de le conduire jusqu’à chez lui. Le chemin jusqu’au village de Xuxian était assez long, il leur fallait passer plusieurs ports avant d’y arriver. Quand leur traversée fut égayée par deux charmantes jeunes femmes, Bai Suzhan et sa soeur :
« Maître pêcheur, auriez-vous deux petites places sur votre barque ? » demanda Bai suzhan. Le pêcheur embarrassé ne pouvait décider. Son client était le jeune seigneur. La décision appartenait à son client. Le jeune seigneur à la vue de ces deux charmantes demoiselles ne put qu’accepter. Les demoiselles montèrent à l’arrière de la barque, et s’assirent sous l’abri de bambous, confectionné par le pêcheur. Quand au jeune Xuxian, comme le voulait la bienséance, il s’éloigna des deux demoiselles et s’assit à l’avant du bateau près du pêcheur.

Les deux jeunes demoiselles, à la vue de ce seigneur si prévenant, choisirent de le mettre à l’épreuve. L’aînée des deux sœurs proposa à Suzhan de faire tomber la pluie. Juste pour voir, si ce jeune homme résisterait à la tentation de s’asseoir à leur côté.
Le pouvoir des serpents immortels est grand et les deux serpents devenus ces deux jeunes demoiselles pouvaient ordonner la pluie et le beau temps. C’est ainsi que tout à coup, la pluie tomba. Des trombes d’eau !! Mais Xuxian, imperturbable, ouvrit son parapluie, et debout sous la pluie resta droit sur la barque. Enfin, il arriva à bon port. La pluie était forte. Par égard pour ces deux jeunes femmes, Xuxian choisit de leur laisser son parapluie avant de partir.
Quelques jours plus tard, Bai Suzhan rendit visite à ce charmant seigneur afin de lui rendre son parapluie. C’est ainsi que les deux jeunes gens devinrent complices, puis que leur complicité se transforma en un heureux mariage !

Quelques mois plus tard, alors que Xuxian vivait des jours heureux avec sa charmante jeune épouse, il fit une étrange rencontre. Sur la place du marché, un bonze le suivait. Soudain, il interpella Xuxian. « Maître, écoutez-moi. Je me dois de vous informer d’une affaire hautement importante. Peut-être ne me croirez-vous pas. Mais, voilà, il s’agit de votre femme. Votre bien-aimée n’est en fait qu’un jeune serpent ensorceleur, capable des plus mauvais tours. Il a pris forme humaine et il est désormais votre femme. Croyez-moi, quittez votre épouse au plus vite, avant que malheur ne vous arrive. Demain, le 5ème jour du 5ème mois, nous boirons le vin de Xiong Huang, immunisant contre les piqûres d’insectes et de venin. Vous en donnerez à boire à votre épouse. Elle redeviendra alors serpent. A ce moment, surtout vous courrez me chercher, moi Fahai à la montagne dorée. Je vous y attendrai. »

Xuxian bien sûr ne crut pas un instant ce vieux bonze de mauvais augures. Mais il prit quand même, comme les habitants de Hangzhou en avaient l’habitude, une bouteille de vin de xiong huang. Le lendemain, à l’arrivée de l’été et des insectes, pour se protéger comme à l’accoutumée des piqûres d’insectes, Xuxian et sa femme Bai Suzhan burent le vin jaune. Quand peu de temps après, Suzhan se sentit faible. Elle se retira alors dans sa chambre. Xuxian inquiet courut dans la chambre de son épouse et y trouva non pas sa jolie jeune femme mais un serpent ! Un grand serpent blanc argenté portant les vêtements de sa femme. Xuxian ne put en supporter davantage et son cœur s’arrêta. Xuxian tomba. De stupeur, il était mort.


vendredi 15 juin 2007

L'histoire de Chu Yuan, illustre lettré.

Dans la culture chinoise, la fête de Duan Wu Jie célèbre le poète Chu Yuan, suicidé pour l'honneur de sa patrie.
Voici son histoire

Chu Yuan, célèbre lettré, vivait à l’époque des Royaumes combattants dans le royaume de Chu. Cet érudit était un des vassaux les plus fidèles du roi Huai Chu. En effet, par ses sages conseils, Chu Yuan avait permis au roi d’apaiser son royaume et d’y apporter enfin la stabilité nécessaire à son développement. La confiance du roi pour son fidèle vassal Chu Yuan était alors sans limite. Cependant, la position privilégiée de Chu Yuan n’était pas appréciée par tous les sujets du royaume et tous les feudataires, briguant cette place si respectée de conseiller du roi, rivalisaient de médisances à l’égard de Chu Yuan dans l’espoir de devenir favoris à leur tour. Ainsi l’un des hauts conseillers du roi entreprit de mettre fin à cette relation de confiance entre le roi et son conseiller Chu Yuan. Un jour, il s’adressa au roi :

« Votre Majesté, moi, votre conseiller feudataire, permettez-moi d’exercer mon devoir et ainsi de vous entretenir d’un sujet qui me préoccupe beaucoup. Dans votre royaume, Majesté, vous n’êtes pas sans ignorer la popularité sans borne de votre conseiller Chu Yuan. Et bien, il semblerait que son dévouement pour son royaume soit connu de tous par delà le royaume de Chu. Si bien que la politique et le gouvernement si éclairés de votre Majesté soient passés inaperçus dans le royaume. Et ce d’autant plus que votre sage et fidèle conseiller Chu Yuan ne cesse de se vanter à travers tout le royaume de ses exploits et conseils. »

Ces quelques paroles suffirent à troubler le roi et c’est ainsi que le roi de Chu commença à se méfier des conseils de son fidèle parmi les fidèles, le lettré et sage Chu Yuan.

Quelques temps après, la guerre reprit au royaume de Chu. Le royaume de Qin, avide de conquête, ne tarda pas à déclarer la guerre au royaume de Chu.
Le royaume de Qin commença par aborder le roi de Chu par une fourbe stratégie. Ainsi, il proposa au roi de Chu une alliance qui serait conclue entre les deux royaumes de Chu et de Qin à Wuguan. Un rouleau fut apporté au roi de Chu par un messager du royaume de Qin. Son rouleau en main, le roi de Chu, Huai, prit cette alliance au sérieux. Ce geste de civilité et d’humanisme suffit à satisfaire le roi pour accepter cette alliance et préparer son armée à se rendre à ce rendez-vous.
Un grand conseil général fut décrété par le roi, afin de préparer son armée et cette alliance. Le conseil commença d’abord par les explications du roi, puis il donna la parole à ses conseillers. Après l’état des lieux de la situation, Chu Yuan, incrédule face à cette offre si généreuse du royaume de Qin, intervint sans attendre auprès du roi.
« Votre Majesté, si vous me le permettez, je désirerais intervenir. Votre altesse, il est évident que cette alliance n’est qu’un leurre de la part du roi de Qin. Quel serait le bénéfice de cette alliance pour le royaume de Qin et notre royaume. Le roi de Qin est un tigre aux longues griffes et aux dents de loup. Votre majesté, il me semble que la sagesse nous recommande de ne pas accepter cette alliance. Ne répondons pas et préparons nous à son attaque».

« Votre Majesté» intervint alors un autre conseiller du roi. « Permettez-moi de vous présenter mon idée sur cette alliance. Voilà, nous, le royaume de Chu ne devons-nous pas surpasser les méfiances et les préjugés sur le royaume de Qin. Cette alliance, ne serait-elle pas plutôt un signe de paix. Il me semble que le royaume de Qin nous fait signe, ne devons-nous pas au contraire accepter cette alliance ? Votre majesté, croyez-moi, nous ne pouvons refuser ce rendez-vous. »

« Votre Majesté », intervinrent alors les autres conseillers, tous près à contredire les propos de Chu Yuan. Votre sage conseiller Zilan a, me semble-t-il, raison. Acceptons cette alliance. Allons à Wuguan. »
Et c’est ainsi que l’armée de Chu se rendit à Wuguan où elle fut encerclée par l’armée ennemie. Le roi Huai Chu fut emprisonné et condamné à mort. Son successeur, sous les recommandations des anciens conseillers du roi de Chu, déclara Chu Yuan, grand et fidèle conseiller du roi, comme responsable de ce terrible échec du royaume de Chu. Chu Yuan fut alors exilé par le roi de Chu, le grand QinNang.

Chu Yuan rentra dans son pays natal pour vivre aux côtés de sa soeur.

Ainsi CHu Yuan était désormais installé dans une vie de recueillement, de réflexion et de tristesse. Envahi par un immense chagrin, il composa les célèbres rouleaux de bambous, intitulés « tristesse de l’éloignement ». Il ne pouvait oublier son royaume, le royaume de Chu et son roi, mort par les mauvais conseils de ses conseillers. Toujours inquiet pour son pays, jour et nuit, Chu Yuan ne cessait de composer sur les meilleures façons d’agir et la nostalgie de son royaume, le royaume de Chu. Son chagrin était de plus en plus lourd. Quand un jour, la nouvelle lui parvint. Le royaume de Chu était conquis. La capitale était prise par le royaume de Qin !
Chu Yuan s’effondra ! Tout était fini. Sa vie, il avait tout donné pour son royaume, mais en vain. Il était conquis. Sa tristesse fut infinie jusqu’à devenir insupportable. Il ne dormait ni ne mangeait plus.
Lorsqu’un matin, il se redressa. Droit, debout, les joues sèches, entaillées les larmes des jours passés, il demanda à sa servante de lui préparer des vêtements propres. Il sortait.
Il prit son cheval, calmement et s’avança vers la rive du fleuve Milo.

« Chu Yuan te voilà sur la rive du changement. Le monde dans lequel tu vis est de plus en plus impur et bourbeux. Moi, Chu Yuan, solitaire en ce monde sali par ses sujets, il me faut désormais aller de l’avant. Je dois surpasser ce monde. J’ai choisi. Je vais quitter cette fausse pourrie, ce monde impur.
Pourquoi ne pas essayer les mondes sous-marin ?! » Et il sauta.
Chu Yuan se noya dans la rivière Milo, effondré par le désastre du gouvernement de son nouveau roi.

La nouvelle se répandit très vite. Chu Yuan, l’éminent poète et conseiller du roi s’était noyé.
Les habitants de son village natal, tous respectueux envers cet homme illustre, montèrent sur leur barque et commencèrent affolés à chercher Chu Yuan. Sans résultats, ils choisirent alors d’alerter Chu Yuan de leur présence par des tambourinages. Leur gong embarqué, tous ensemble, ils jouèrent. Les gongs sonnèrent, résonnèrent dans les eaux profondes du fleuve Milo ce jour-là. Mais en vain. Chu Yuan ne revint pas. Il avait choisi de quitter ce monde. Aussi, afin de protéger Chu Yuan des prédateurs sous-marins, les habitants lancèrent des boules de riz gluant aux poissons. Ceux-ci repus ne mangeraient pas le corps de Chu Yuan.

Et c’est ainsi que cette pratique, comme celle du gong, furent renouvelées tous les ans pour commémorer la perte si grande de l’illustre Chu Yuan.

Aujourd’hui encore, pour la fête de Duan Wu Jie, en l’honneur du poète Chu Yuan, il est possible de manger des Zhongzi, boulettes de riz gluant, enveloppées dans une feuille de palmier.

vendredi 1 juin 2007

L'enfance de Mencius

En Chine, la mère de Mengzi, le grand philosophe chinois (Mencius de son nom latin) est un modèle. Par son éducation exceptionnelle, son fils a pu devenir un grand philosophe. Et actuellement encore, les jeunes parents chinois ont tous en mémoire l'histoire de Mengzi et de sa mère. Un modèle que tout le monde essaye d'imiter.
Voici, cette histoire.

Mengzi est né en Chine, au IV° siècle avant J-C, à l’époque des royaumes combattants. Son père, Mengji, un lettré plutôt malchanceux, fonctionnaire auprès du roi du royaume de Song, vécut dans la prospérité. Jusqu’au jour où, hélas, trois ans plus tard, il décéda. Il laissa sa femme, mademoiselle Qiu et son fils unique, le petit Mengzi à leur propre destin.

Mademoiselle Qiu, femme du mandarin Mengji, mère du petit Mengzi vivait dans la principauté de Tsou, (le Shandong actuel), au pied de la montagne Maan, dans un petit village nommé Fan.
Dans ce village, la vie y était paisible. La mère de Mengzi, seule, y élevait son fils. Ce dernier aimait jouer avec ses voisins, les autres enfants du village et tous ensemble s’amusaient souvent à imiter les adultes de leur entourage. A proximité de ce village, était justement un cimetière. Ce cimetière, un des plus grands de la principauté de Tsou, avait régulièrement de nouveaux locataires en ces temps difficiles et les jeunes enfants du village aimaient à regarder les fossoyeurs à l’ouvrage et les défilés endeuillés. Mengzi, quant à lui, était aux premières loges pour voir ce cortège funéraire, puisque les défilés passaient régulièrement devant sa porte.
Ce défilé de personnes vêtues de chanvre, en pleurs, se lamentant à n’en plus finir, était un spectacle très divertissant pour le petit Mengzi et ses amis. Les enfants du village se plaisaient à les imiter et avaient pour habitude de jouer aux enterrements. Les uns se taillaient des vêtements de chanvre, d’autres creusaient pour la mise en bière, d’autres encore brûlaient du papier monnaie, ou simulaient le transport du cercueil. Un jour, alors que tous les enfants du village étaient en train de jouer près du cimetière, la mère de Mengzi entendu son fils pleurer et crier. D’abord indistinctes, les paroles de Mengzi devinrent plus claires.
« Mon amour, pourquoi tu m’as laissé ? Te voilà parti maintenant, il ne reste que moi en ce bas monde ! Que vais-je faire ? Que vais-je devenir ? »
Mademoiselle Qiu se rapprocha de la voix qu’elle supposait être celle de son fils, quand elle l’aperçut, agenouillé à terre, les bras tantôt en l’air, tantôt frappant la terre avec vigueur, criant, voir même braillant pour être sûr de transmettre toute la tristesse d’un enterrement à ses amis. Il jouait à l’enterrement. Il fallait être triste et pleurer. Ce que Mengzi fit très bien, si bien que sa mère, paniquée de voir à quel genre de jeu son fils s’amusait, décida de déménager sur le champ.
Elle prépara ses bagages et empoigna son fils. Ils partirent.

Leur pas les menèrent jusqu’au village de Miaohuying. Cette fois-ci, mademoiselle Qiu, pour le bien de son fils, s’installa au centre du village. Dans une rue commerçante, très animée, où là, au moins, son fils ne jouerait pas à des jeux aussi macabres que la reconstitution d’un enterrement.
La rue animée éveilla Mengzi. Ses amis ne se lamentaient plus, ne pleuraient pas et lui ne s’agenouillait plus en criant. Mengzi, comme tous les enfants, observait son entourage. Un boucher à gauche, un marchand de légumes à droite et divers autres commerces dans la rue. Tous les jours, le jeune garçon traînait avec ses camarades et apprenait.
Et c’est ainsi qu'il observa le boucher couper du porc, les commerçants marchander et les vendeuses attirer le client à la criée. Il prit ainsi exemple sur ses voisins.
Sa mère fut alors très étonné de voir un jour son fils, jouer au marchand de viande. Imitant l’abattage du porc, puis la découpe de celui-ci et enfin ventant avec joie tous les mérites de son porc, très frais "et oui mesdames et messieurs", très frais!
Mademoiselle Qiu ne put en supporter davantage et se dit qu’il valait mieux déménager et trouver enfin un environnement plus propice à l’épanouissement et à l’éducation de son fils. Lui qui imitait si bien son entourage, il fallait lui donner un voisinage constructif. Et pas plus qu’elle ne voulait laisser son fils proche d’un cimetière, elle choisit aussi d’éloigner son fils du milieu commerçant et des petits marchandages incessants auxquels ils se livraient.

La mère de Mengzi choisit de s’installer près de l’école de la principauté de Tsou. Ici au moins, entouré d’étudiants et de sages lettrés, le jeune Mengzi serait influencé correctement pensa-t-elle. Dans tout le village, on pouvait entendre les récitations des élèves. Les lettrés de l’école et leur sagesse impressionnaient les enfants du village. Ainsi, Mengzi, avec les enfants du village, joua à étudier. Assis sous un arbre, il se courbait au-dessus d’un rouleau reconstitué à partir de brindilles et récitait ce qu’il avait appris en écoutant les élèves faire leur récitation. Avec ses camarades, ils jouaient aux discussions entre lettrés, se courbant tous aimablement les uns devant les autres, se faisant des politesses avant de s’asseoir et de s’attabler devant une tasse de thé invisible. Observant les jeux de son fils, la maman de Mengzi fut ravie. Après un long parcours, elle avait enfin trouvé un environnement favorable à son fils. Elle choisit de rester dans ce village et se mit à tisser pour gagner sa vie et permettre à Mengzi, son fils unique et orphelin de père, d’avoir la meilleure des éducations.

Hélas, Mengzi n’était qu’un enfant. Et ce qui était un environnement des plus favorables pour sa mère, n’était aux yeux de Mengzi qu’un village comme les autres où les enfants ensemble se réunissaient pour jouer. Aussi, alors que Mengzi avait déjà commencé à étudier, il fut surpris un jour par sa mère en train de s'amuser avec ses amis au pied d’un arbre plutôt que d’être sagement à l’école.
Cependant, plutôt que de le gronder immédiatement, la mère de Mengzi rentra chez elle. Toujours à son ouvrage à tisser, elle attendit la rentrée de son fils. Lorsque celui-ci rentra et s'installa à côté d’elle pour l'aider à tisser, elle prit une paire ciseaux et coupa en deux tout le morceau de tissu qu’elle avait laborieusement tissé. Toute une semaine de labeur anéantie. Face à cet étrange spectacle, Mengzi ne put que réagir.
« Mais maman, pourquoi détruisez-vous de vous-même ce magnifique tissu, tissé de vos mains? C’est de la folie ? Il vous a fallu une semaine de travaille sans relâche pour le finir. »
Et mademoiselle Qiu, répliqua alors : « Mon fils, tu es allé jouer avec tes amis cet après-midi plutôt que d’aller à l’école. Et bien, ton action est toute aussi inconsidérée que la mienne à l’instant. Ce tissu par mon tissage lent, progressif, mais laborieux et sûr, a pu devenir un tissu soyeux et solide, de bonne qualité. Il était destiné à servir de tunique confortable. Mais par mon acte irréfléchi, ce tissu est détruit, la belle tunique ne sera pas et il faudra reprendre à zéro tout mon labeur pour arriver encore une fois au même résultat.
Tout comme toi, mon fils. Les études et le savoir s’acquièrent avec un lourd labeur, beaucoup de patience, d’énergie et de concentration. Si tu choisis de t’amuser plutôt que d’étudier, alors de tout ton travail de concentration antérieur, de toute ta patience et de ta sagesse accumulées il ne te restera plus rien ! Il te faudra tout reprendre à zéro ! »

Et voilà comment la mère de Mengzi, sans punition, sans correction violente, ou colère abusive inculqua à son fils, Mengzi, toute la valeur des études. Mengzi devint ainsi très jeune, à l’âge de 15 ans, un des disciples du petit-fils de Confucius, avant de devenir lui-même un des grands maîtres de la philosophie chinoise.